Du principe de vérité et de réconciliation
Par Patrick Rakotomalala (Lalatiana Pitchboule)
Une nouvelle constitution, si on doit absolument s’y résoudre, dans le dessein de reconstruire une unité nationale, ne peut pas faire l’impasse d’une démarche de réconciliation, telle qu’elle était définie en particulier au sein des accords de Maputo. Et même si le terme ou l’idée même en révulsent certains, un acte d’amnistie devra en faire partie.
L’erreur fondamentale sur le plan politique des régimes des transitions de 1991, de 2002 et de 2009 a été de nier ce principe : l’installation d’un régime démocratique ne consiste pas seulement en la mise en place de mécanismes susceptibles de prévenir tout risque de retour au pouvoir des tenants de l’ancien régime. Il s’agit aussi d’instaurer les mécanismes qui puissent étayer un principe de légitimité démocratique …
C’est aussi parce que les crises de 1991 et de 2002 n’ont pas su traiter la réconciliation en question que la stabilité politique n’a pas pu s’établir. Que les tenants du régime actuel puissent s’accrocher à l’idée incongrue d’une extradition et d’un procès de Marc Ravalomanana, pourrait prêter à sourire si ce n’était tragique …La HAT avec ses 16 mois de pouvoir , les exactions pratiquées et la désolation mise en place risque bien, en effet, de prendre la place de l’accusé au tribunal des régimes autoritaires, accusé jugé pour une violence d’Etat et un déni de démocratie, arguments qui avaient pourtant fait le lit du coup d’Etat de 2009 … A voir et entendre cela, on se dit qu’on est encore loin de la maturité politique dont le pays a besoin.
Une véritable maturité politique prendrait en effet en compte qu’il n’existe semble t il pas de transition démocratique qui ne s’accompagne d’un recours à des mesures d’amnistie ou de grâce. L’instauration d’une démocratie stable exigera que succède à un régime autoritaire, dont les actes des dirigeants relèveraient normalement du droit commun, un régime dont les nouveaux gouvernants préféreront une forme de rémission des peines au cours normal de la justice…
Quoique choquante que puisse paraître cette idée, il faut noter qu’il est dans l’histoire plus d’exemples d’amnisties que de processus de justice absolue. Et encore, dans ce cas, ces processus ont été menés par des institutions juridictionnelles ou pénales internationales (TPI, Nuremberg, etc …).
Dans la lointaine antiquité, l’amnistie de Thrasybule, en 403 avant Jésus-Christ, avait vu ce général, rentré d’exil pour chasser les trente tyrans d’Athènes et rétablir la démocratie dans sa cité, proposer à l’assemblée des citoyens d’adopter une loi pour consacrer l’oubli des divisions antérieures. La loi de Thrasybule donne à la notion d’amnistie son caractère d’oubli volontaire.
Plus récemment, la France avec ses mesures d’amnistie à la fin de la 2nde guerre mondiale ou à la fin de la guerre d’Algérie, le Rwanda, l’Afrique du Sud, Le cône Sud Américain (Chili, Argentine, Uruguay, …), sont autant d’exemples de l’histoire du monde où, dans un souci de concorde nationale et de retour à l’unité, des mesures de clémence ont été nécessaires pour la (re) construction de la démocratie.
Dans ces derniers pays en particulier où la violence d’Etat s’est érigée en système politique, avec son lot de répressions, d’atteintes aux droits de l’homme, de massacres, d’épuration, ou de « disparitions », aucune justice punitive ne s’est exercée de manière systématique à l’encontre des agents des anciens régimes incriminés et les quelques procès engagés n’ont eu en général qu’une portée limitée en regard des faits en question.
Approuvées par la voie parlementaire, parfois comme en Uruguay par voie référendaire, reflétant là une acceptation par la population concernée, ces politiques « d’in-justice »[1], malgré leur rejet par les associations de victimes ou les organisations de défense des droits de l’homme, caractérisent un effacement de la justice commune telle qu’elle devrait s’exercer au bénéfice d’une réconciliation nationale à l’échelle de la société. A l’aune de ces drames, les diabolisations menées par les différentes factions du jeu politique malgache paraissent bien puériles, quand elles bloquent à ce point toute tentative de concorde.
Il est donc question de compromis et non pas de l’exercice d’un principe de justice absolue.
Le projet de consolidation du cadre démocratique exigera de faire des concessions aux tenants de l’ancien régime susceptibles, pour le moins, d’opérer une obstruction constante ou, au pire, d’aller jusqu’au putsch … On l’a vu … On l’a subi dans les deux cas … et on risque de le subir encore quand il s’agira d’un changement de gouvernement qui verra les titulaires de la HAT à leur tour du « mauvais coté de la barrière »…
Au détriment des principes d’égalité devant la loi et du caractère systématique de l’administration de la justice, du fait de reliquats de légitimité et d’enclaves d’influence économique ou politiques, les anciens détenteurs du pouvoir disposent d’atouts qui forcent au compromis … et quand la stigmatisation des coupables peut les mener à renouer avec la violence politique, l’objectif de justice nuit ici à l’établissement du principe de justice et ne permet pas de rompre avec la violence passée.
On nous rétorquera avec raison que cette impunité de fait consacrée par l’acte d’amnistie mine la légitimité de la démocratie en frustrant les partisans des poursuites judiciaires. On rajoutera tout aussi justement que cet acquittement/oubli laissera par ailleurs les fautifs dans le sentiment qu’ils pourront sempiternellement et impunément remettre en question le cadre institutionnel.
Mais si on voulait se tenir à ce seul caractère d’exercice d’une justice dans son sens universel, comment mettre a l’écart et a fortiori enfermer une large part de la communauté nationale quand il faudra bien continuer à vivre ensemble ? Comment prononcer l’illégitimité d’un Etat et préserver la continuité de l’appareil administratif ? Comment la justice peut elle se prononcer sur la culpabilité d’une institution dont elle fait partie ? Et comment construire un récit distinguant des coupables et des victimes lorsque le propre des histoires nationales est justement de mettre en avant une union et une communauté ? Comment des sociétés qui ont vu s’affronter des ennemis et qui semblent longtemps garder la mémoire de ces affrontements peuvent elles se réconcilier ? Comment le peuvent elles si justice n’est pas faite, et qu’il n’est pas certain que la justice y suffise ?
Ces questions se posent dans tous les pays confrontés à l’enjeu essentiel d’une véritable Transition : renouer avec une concorde civile. L’acte d’amnistie pourrait sembler ici mettre fin à l’exercice de la justice, et semblerait rendre impossible l’établissement des faits et de la vérité qui incombe au pouvoir judiciaire… Enjeu de vérité fondamental.
L’élaboration d’un récit acceptable par tous est indispensable pour que des versions de l‘histoire divergentes ne puissent plus s’affronter… Les accords de Maputo prévoyaient, un Conseil National de Réconciliation (CNR) chargé de la conception et de la mise en œuvre du processus de réconciliation nationale sur la base du concept « vérité et réconciliation » … fondant le principe d’une recherche de la vérité … Qu’en est il aujourd’hui ?… Certains sont encore convaincus que la stabilité politique se fera sur des ralliements et des compromissions … Quand donc comprendront ils que la stabilité, le progrès, la nation même, ne pourront se construire que sur une histoire commune reconnue et adoptée de tous ?
L’absurde est ici porté à son comble : c’est bien au pays du fihavanana, qu’on est incapable de négocier nos propres « Commissions Vérité » …Et la culpabilité n’a que peu de choses à y voir …
Il s’agit là encore et toujours de courage, de lucidité et de responsabilité …
Pour mémoire, le livre de Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, militant anti-apartheid et bâtisseur de la paix en Afrique de Sud, s’intitule » Il n’ya pas d’avenir sans pardon » …
[1] cf : Sandrine Lefranc « Politiques du Pardon ». PUF.
A lire : Barbara Cassin « Vérité, Réconciliation, Réparation ». Desmond Tutu « Il n’y a pas d’avenir sans pardon ». Desmond Tutu « Amnistier l’apartheid »



Holim
1 juillet 2010
Cher Patrick,
Merci de cette analyse qui panse en partie l’ennième blessure que j’ai reçue personnellement en découvrant en ligne à 1H50 du matin les titres des quotidiens malgaches. J’ai été suffoquée : il n’y a pas de limite à l’anomie actuelle.
Mais ta problématique est vaste : « Comment […] ces sociétés peuvent-elles se réconcilier […] si justice n’est pas faite, et qu’il n’est pas certain que la justice y suffise ? ». « Double bain » ?
Je ne suis pas une inconditionnelle du fihavanana, lequel a toujours floué la majorité malgache sous la houlette des dirigeants « occidentés » : ils ont avancé longtemps ce concept comme principe indéfectible pour toujours agir impunément.Mais je n’ai pas de solution pour autant.
Actualité du foot oblige, je pense au Ghana. Voilà un pays qui se porte bien, avec à peu près le même volume de population. Est-ce parce qu’il a crevé l’abcès par diverses tragédies incontournables, sans quoi la reconstruction n’était pas possible (tout ne se ramène pas à la dichotomie ancienne colonie britannique vs ancienne colonie française) ? Chaque itinéraire national en Afrique semble particulier.
Question de béotienne : y a-t-il une seule règle du jeu s’agissant de développement en Afrique ? Je ne sais pas.
Le pardon ne suffit pas au niveau des pseudo-dirigeants. La population, quant à elle, meurt de faim et pardonne à l’envi au nom de la survie. Pourtant, se regrouper récemment autour de cet objet matériel qu’est le drapeau national un peu partout dans l’île figurait déjà l’espoir d’un sentiment d’appartenance à une seule nation – ce n’est pas Durkheim qui me contredirait.
Désolée si la non politique que je suis est partagée face aux penseurs. Je persiste toutefois à dire que malgré ce scepticisme tentaculaire, il faut que ceux-ci continuent : « Une société sans rêve est une société sans avenir ».
Bonne continuation à toi.
Gerges Rabehevitra ( extrait du forum de Madgascar Tribune du 01/07)
3 juillet 2010
Cher Lalatiana,
Merci pour cette contribution que je trouve très claire et bien argumentée.
Les débats sont nécessaires et insdispensables pour faire bouger et avancer les choses.
Pour voir à quel point, nos idées sont opposées, veuillez relire mon billet concernant ce sujet. Titre : « amnistie et oubli’’.
Pour moi, on confond ’’absoudre’’ et ’’amnistie’’ et c’est pour cela que cela ne marche pas dans notre pays.
Je serai pour une amnistie mais encore faut-il citer les fautes, à défaut de condamnation. On ne peut amnistier sans un minimum de mea culpa
Relisez cet article et on continuera nos débats
Bien à vous
Georges RABEHEVITRA
[…] lire la suite
pitchboule
3 juillet 2010
Cher Georges,
Vous pensez bien qu’avant de me lancer sur le sujet j’avais fouillé sur MT voir ce qui avait été écrit sur ce thème … J’avais donc bien lu votre article à l’époque … et je l’ai, de fait, récemment relu …
🙂
Nous sommes d’accord … je le dis moi même « On nous rétorquera avec raison que cette impunité de fait consacrée par l’acte d’amnistie mine la légitimité de la démocratie en frustrant les partisans des poursuites judiciaires. On rajoutera tout aussi justement que cet acquittement/oubli laissera par ailleurs les fautifs dans le sentiment qu’ils pourront sempiternellement et impunément remettre en question le cadre institutionnel. »
Dans AmnesTie il ne s’agit pas d’oublier le « T » qui transformerait le concept en amnésie …
Mais on ne peut pas non plus rester enfermés dans cette pseudo-logique de la sanction, telle que le discours actuel la véhicule de manière politicienne et qui ne veut qu’emm…Ra8 … Dans dix ans on y sera encore … Pardon, les affrontements seront encore pires …
Je suis d’accord avec vous …Le PROCESSUS d’amnistie ET DE RECONCILIATION ne doit pas relever d’une décision prise par les seuls politiques qu’on sait VEREUX … mais il peut s’insérer dans un cadre légal si ce n’est constitutionnel. Un référendum ferait bien mon affaire …
Par ailleurs, sur vos arguments, justifiés, du jugement et de la condamnation préalable avant tout acte d’amnistie, ou de la vérité due au peuple, je répondrai : les commissions Vérité et Réconciliation, en Afrique du Sud en Particulier, ont mis en place de vraies tribunes ou les victimes et les bourreaux témoignent publiquement des faits. L’enjeu n’est pas la sanction. L’enjeu est la Vérité.
Enfin, quand vous dites « la Nation ce n’est pas uniquement les politiques » … Vous avez raison. Mais dans ces processus, il ne faut pas oublier que les politiques ne sont pas les seuls acteurs qui seront mouillés dans le grand déballage qui risque de s’ensuivre : des agents de l’Etat, du privé, ou de l’armée, impliqués, peuvent se sentir aussi menacés et concernés par le sujet … La vérité ne pourra pas se circonscrire aux seuls personnages publics … mais la continuité de l’Etat peut elle y survivre ?
Bien amicalement …
ps : ravi de débattre avec vous …
Sissi
3 juillet 2010
Bonsoir Lalatiana
J’ai bien transmis votre message à ma copine belge qui vous en remercie en retour, mais qui vous fait dire qu’en définitive qu’elle allait renoncer à sa vérification ayant une forte présomption qu’il n’y a rien à voir. Lol
Sissi
pitchboule
4 juillet 2010
Bonjour Sissi,
Je n’en espérais pas moins de votre amie belge … Mais faites lui part de mon plaisir de cette double rencontre …
Au fait, vous même et votre amie belge, seriez vous gémeaux ?
😉
Bien cordialement votre
Patrick
andriantsimbazovina
3 juillet 2010
1er juillet 23:22, par andriantsimbazovina
La réconciliation ne signifie pas amnistie systématique.
Le « Fihavanana » étant devenu une simple pétition de principe en politique voire une sorte d’incantation vaine, même si nous avons la grande chance de ne pas avoir eu une guerre civile (quoique 2002, … et des tentatives de ranimer ici et là des divisions ethniques, …), nous ne pourrons construire un avenir serein et stable avec « seulement » une nouvelle constitution. Cette dernière devra être accompagnée d’un processus sérieux et sincère de réconciliation. Tout citoyen et patriote « indépendant d’esprit » et de « bon sens » le sait et devrait oeuvrer dans cette direction.
andriantsimbazovina
3 juillet 2010
2 juillet 12:41, par andriantsimbazovina
Rechercher la stabilité, le progrès et le développement économique nécessite une fondation solide.
Reconstruire un Etat, c’est comme reconstruire une maison.
Rafistoler ne fait que repousser le problème.
Sans une fondation solide, autrement dit sans une constitution solide et dotée d’une autorité et d’une effectivité réelle, l’économie et le social sont assis sur des incertitudes.
C’est par la Constitution que tout doit commencer et il appartient au peuple de se prononcer car la Constitution c’est un contrat que les gouvernants présents et futurs passent avec le peuple.
Citoyenne malgache
7 juillet 2010
Cher ami,
Je suis toujours admirative face à ton travail de recherche pour produire tes textes.
Réconciliation dit-on… On peut le dire, l’institutionnaliser et le constitutionnaliser, y croire et en rêver, mais dans la pratique, les blessures et les rancunes sont profondes. Il nous faudra plus d’une génération pour « oublier » tout ça.
Et encore… n’est-ce pas durant cette crise qu’on a le plus parlé de PADESM, de Galliéni, i.e des choses qui nous ont fait historiquement mal et qui nous ont fait réagir ?
Un pansement ne peut pas remplacer un traitement.
pitchboule
7 juillet 2010
Je suis hémophile .. donc je sais que les pansements ça marche pas … (non … je rigole ) …
Il faut travailler sur le long terme … L’institutionnaliser et afficher l’intention donnerait du grain à moudre au moulin de l’espoir d’une réconciliation