Les chroniques de Ragidro : Identité, binationalité, culture… De quel progrès rêvons nous ?

Posted on 25 juin 2023

1


Identité, binationalité, culture… De quel progrès rêvons nous ?

par Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – Juin 2023

Les débats sur la binationalité[1] de Andry Rajoelina font écran de fumée sur un sujet essentiel qui pourtant doit s’y rapporter : quelle est l’identité du projet économique que nous voulons pour le pays ? Quelle est la trajectoire que nous voulons lui tracer ? La question du modèle de développement que nous devrions définir est là : quel est le train que nous voulons prendre ? Où voulons nous qu’il nous mène ? Et à quelle vitesse ?

Rien ne m’a tant irrité dans les initiatives du dirigeant actuel que les annonces de Miami sur Pangalanes (à part l’idée à peine plus saugrenue de l’importation de girafes et d’éléphants). Pourquoi cette irritation ? Parce que le projet reflétait plus que tout autre la superficialité d’une pensée socio-économique qui ne se préoccupait pas de l’élaboration d’un schéma de développement adapté aux réalités du pays et de sa culture…

Le manara-penitra érigé en principe. Le plagiat d’un canevas aberrant et inatteignable…. Sans la moindre démarche conceptuelle.  

La prospérité est un souhait partagé. Mais a-t-on envie d’un modèle de création des richesses établi par un ordre rationalisé à l’occidentale qui caractériserait une exploitation forcenée au profit d’une minorité sans préserver les équilibres fondamentaux ?

Ce rêve, c’est celui que le monde dit évolué a fait du progrès humain. Mais, aujourd’hui, de quel progrès humain rêvons-nous en fait ? A quoi voulons-nous qu’il soit fait référence en termes de développement ? A quels indicateurs voulons-nous accrocher la projection de notre futur ?

On nous impose de fait de suivre une voie balisée par d’autres que nous, aux jalons fixés par d’autres que nous, sur un référentiel qui ne nous correspond pas… Et on nous demande de hâter la cadence pour rattraper un train occidental parti il y a quelques siècles. A-t-on seulement envie de prendre ce train ?

Les maîtres mots « développement, émergence économique, croissance, lutte contre la pauvreté, OMD, ODD » sont les concepts clés de la doxa dominante qui caractérise un rêve que l’Occident a exporté dans le monde à la faveur de son avantage technologique et financier. 

Le paysan de Betafo, à la fin de sa journée de travail ne se préoccupe pas de savoir s’il est développé, émergent ou s’il appartient à un pays moins avancé ou pas. Il ne s’inquiète que de la performance de ses pratiques, et de la qualité de sa prochaine récolte et de sa distribution. Et comme tout le monde, il n’aspire qu’à un accès normal à l’eau potable, à l’électricité, à des conditions de circulation viables, à des soins de santé à sa portée … Est-il besoin de lui faire miroiter des gratte-ciel, des autoroutes et des échangeurs … Ou des téléphériques ?

Il n’y a pas de modèle ni absolu ni universel. Les « développements réussis » de Singapour, ou de la Corée, ou de la Chine d’aujourd’hui sont le reflet de chemins, d’histoires, de cultures spécifiques et il ne sert à rien de calquer ou même de prendre exemple sur l’une ou l’autre de ces expériences socio-économiques vécues dans un environnement qui n’a strictement rien à voir.

Mais quel sens voulons-nous donner au mot modernité ? Est-ce la modernité d’un Miami sur Pangalanes avec ses symboles, ses bâtiments de grande hauteur, ses ponts, ses canaux ses jet ski et autres kite surfs ? Ou est-ce une modernité tournée vers plus de durabilité des technologies, des villes, de l’agriculture pour un épanouissement de l’individu malagasy qui soit plus proche de ses matérialités.   

Il faut désormais penser ce que nous voulons de notre futur… Sans se laisser aller à des logiques ni d’euphorie (celle-ci est difficile) ni de désespoir . Il s’agit d’engager un effort de réflexion critique sur nous-mêmes, sur nos réalités et sur notre situation dans le monde pour pouvoir nous représenter et nous projeter.

N’est-il pas temps d’imaginer (et peut-être de promouvoir à l’extérieur quand la civilisation technicienne occidentale vit elle-même une perte de sens ) une vision différente de la vie sociale telle que nos valeurs malgaches pouvaient la prôner et qui fondait un rêve commun de vie, d’harmonie, de sens.

N’est-il pas urgent de fonder une utopie ? Il ne s’agirait pas ici de se laisser aller à une rêverie. Il s’agit de réfléchir aux espaces possibles du réel à faire émerger par la pensée et par l’action .

Le défi consiste à articuler une pensée qui porte sur le destin du pays en scrutant à la fois le politique, l’économique, le social, le symbolique, le culturel …  Là où s’énoncent de nouvelles pratiques, de nouveaux discours. On a ici les éléments qui peuvent fixer les enjeux d’un propos politique actualisé et de sa méthodologie de travail.

« Il s’agit de décrypter l’émergence d’une nouveauté radicale, de penser le contenu des projets de société, d’analyser le rôle de la culture » (Felwine Sarr)     

Travailler sur la culture c’est caractériser comment les différents segments qui constituent le substrat culturel de notre communauté nationale et émigrée en termes de relation vis-à-vis de la mondialisation peuvent ils envisager un modèle de développement.

Fonder l’économique sur le culturel exigera de mieux comprendre et analyser ce qui fixe respectivement les choix et comportements socio-économiques individuels et collectifs des membres de ce substrat. En gardant à l’esprit que la hiérarchie des buts et objectifs que peuvent s’assigner par culture les individus et les groupes caractérisera les modes de régulation à mettre en place.

Il s’agit de produire un discours qui saisisse les fondements des pratiques économiques observées chez chacun de ces groupes. On est ici pleinement dans des logiques de traitement et prise en compte des COMMUNS dans des considérations où prime la conception d’une économie au service de la communauté.

On ne peut toutefois pas se soustraire au principe d’un monde qui évolue, d’une mondialisation qui est désormais irréversible. C’est là la difficulté et la subtilité nécessaire dans une réflexion de ce type. 

Les choses tournent autour de la notion de modernité et de progrès … Il faut juste caractériser (et prioriser) les éléments de l’avancée auxquels on veut adhérer ?  A quel délai ? Selon quel plan de développement ? C’est un débat intéressant. Pouvait-on vraiment faire confiance à un jeune ambitieux focalisé sur des logiques d’image et de pouvoir pour initier et animer ce sujet ? Devra-t-on encore le refaire ?

Bien évidemment, non.

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 25/06/2023


[1] Binational assumé moi-même, je reste toutefois choqué par l’hypocrisie et la manipulation. Pouvait-on en espérer mieux ?   

Posted in: opinions