
Patrick Rakotomalala (Lalatiana Pitchboule) – 13/09/2023
S’il est un spectacle qui interpelle les observateurs de la vie sociale et politique malgache, c’est bien celui de la « résilience » de la population de Madagascar.
Qu’il vente, qu’il pleuve, que volent les virus et les bactéries, que fondent les nuées de sauterelles sur les champs, que soufflent les cyclones et … que pillent les profiteurs … Le malgache est toujours là, debout, vaquant à son quotidien, désarmant dans sa capacité à surmonter ces stress.
On connait des endroits dans le monde dit développé où des villes modernes s’enflamment sur une bavure policière.. Ou qui voient fleurir sur les ronds-points des bouquets de gilets jaunes jetés là par une augmentation malvenue de quelques dizaines de centimes du prix du gasoil … Là … RIEN … les indicateurs sociaux se dégradent. Le prix du carburant a connu une hausse de 43%… L’inflation est de plus de 10%…. le Kg de riz qui était à 1600ar en 2016 est désormais à près de 4000ar… Et face à ce qui nous parait relever de la plus abracadabrante des gabegies où les projets de téléphériques succèdent aux projets lumineux de CVO et d’usines pharmaceutiques ou autres colisées … Calme plat … On entend ça et là des velléités d’exaspération s’exprimer … timidement… quand la colère sociale ne se défoule pas de la manière la plus violente à travers des phénomènes de lynchage.
Les inégalités n’ont jamais été si flagrantes à Madagascar. A l’occident, ces inégalités seraient vécues de manière insupportable par les masses qui rejettent violemment l’idée que les différences sociales puissent être justifiées du seul fait de la méritocratie ou de l’entrepreneuriat : « je suis riche et tu es pauvre, c’est normal parce que je travaille plus et que je prends plus de risques » tentent de justifier certains… Et, déjà, ça ne passe évidemment pas.
Mais qu’est ce qui fonde les inégalités dans notre Ile rouge ? La méritocratie et le travail ??? Certes non, malheureusement … Aujourd’hui, à Madagascar, il n’y plus guère que les droits acquis, la collusion, la corruption, le népotisme qui font qu’un individu soit plus nanti qu’un autre … A quelques exceptions près …et ce qui nous paraît être la plus choquante des situations ne provoque rien d’autres qu’une forme d’indifférence résignée.
Ce qui aurait déjà mis un pays occidental à feu et à sang ne semble pas pour autant soulever la colère des masses.
Le malgache est-il épuisé mentalement. Anesthésié… N’a-t-il à l’esprit qu’une seule pensée : « Passons à autre chose mais ne me prenez pas SVP la tête. Je suis descendu dans la rue en 72 … je me suis fait tirer dessus… J’ai recommencé en 91… Je me suis fait tirer dessus … Puis en 2002… je me suis fait tirer dessus … Puis en 2009 …. On m’a encore tiré dessus…Pour en arriver à quel résultat ? Toujours plus de misère, plus de pauvreté, plus de précarité, plus de famine… ??? Basta … Ca suffit .. Ampy izay »… On pourrait le comprendre à moins…
Chaque société a besoin de justifier de ses inégalités pour éviter son éclatement. La société malgache ne se pose même pas le problème de cette justification. Ces inégalités semblent relever d’un ordre accepté par tout un chacun. Assumées cyniquement par les nantis qui ne se préoccupent pas de la violence symbolique que vivent les moins nantis. Acceptées avec résignation par ceux-là. Au nom de quoi ? Est-ce cela le fihavanana ?
Ces inégalités ont été d’autant plus accentuées tout au long de l’histoire malgache, et en particulier depuis l’indépendance, que l’homme politique s’est contenté de rechercher le renforcement de son pouvoir en le concentrant et en s’assurant le soutien de groupes restreints d’élites et d’acteurs influents. Et il n’a JAMAIS cherché les réponses aux aspirations populaires qui auraient pu lui assurer le soutien de la grande masse.
C’est la profonde tare de la politique malgache qui fait que l’homme politique, et le dernier en particulier, prétende répondre aux besoins du peuple à coups de tee-shirts jetés, de concerts et de billets de 5000ar et n’envisage absolument pas la résorption du hiatus qu’il y a entre son monde et le peuple.
Il semble que cette débauche de moyens soit dans la Grande Ile nécessaire à la victoire des hommes politiques. Soit. Mais que diable vont-ils faire de ce pouvoir une fois acquis ? Se préoccuperont-ils enfin de bonne et vraie gouvernance et de consolidation de la démocratie et de bienêtre du peuple ? Ou bien se préoccuperont ils des moyens de préserver éternellement les prébendes que leur accorde leur position … et d’écraser par tous les moyens toujours plus la masse et les oppositions pour ne jamais devoir rendre de comptes.
Qui a parlé d’humanité ? Qui a parlé de respect ? Qui a parlé de résorption des inégalités ? Le lancement de la campagne présidentielle est à lui seul symbolique de l’irrespect exprimé vers le peuple malgache… Il est à lui seul expression d’une INEGALITE PROFONDE dans l’évaluation même du mot citoyenneté : toi, homme du peuple, tu n’es qu’un demi citoyen et je n’ai pas besoin de t’accorder le moindre respect … au point de monter une mascarade d’élection que je ne me soucie même pas d’habiller d’un semblant de dignité…. Et le mot Fitiavana est dans cet environnement particulièrement déplacé.
C’est la triste réalité. Le discours des dirigeants qui, dans un contexte de pseudo démocratie, prétendent être les défenseurs des intérêts de la population, n’habille en fait que l’unique souci de ces élites d’entretenir un système profondément inégalitaire toujours au bord de la rupture.
C’est pourtant le combat pour l’égalité et l’éducation qui a permis le développement économique et le progrès humain. Les dynamiques sont dans ces luttes et non pas dans l’acceptation et l’installation de la stabilité et la perpétuation des inégalités.
Le mot clé est là… Il ne peut y avoir de progrès dans la résignation.
Qui se lèvera pour faire siens ces mots : ça suffit, il nous faut au moins le désir de sortir de ces inégalités.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 13/09/2023

Posted on 13 septembre 2023
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