Les Chroniques de Ragidro : Madagascar exportateur de médecins

Posted on 3 février 2025

0


Par Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). Fevr 2025
La Grande Ile  va mal. Et ce ne sont pas ses médecins qui vont la soigner. Pourquoi ? Parce qu’ils sont en train de partir ailleurs. Ils sont  en train de boucher les trous d’un système de santé français qui dysfonctionne. Absurdité profonde : pendant que l’Hexagone soigne ses carences et comble ses déserts médicaux avec des cerveaux venus d’ailleurs, la Grande île, elle, est en pleine déshérence médicale.

La situation médicale en France est marquée par une stagnation des effectifs, une chute du nombre de médecins généralistes et des inégalités territoriales croissantes. La mise en place d’un numerus clausus drastique dans les années 1990-2000 a freiné la formation de nouveaux praticiens. La profession connaît par ailleurs aujourd’hui un vieillissement prononcé. Conséquence : une pénurie de médecins dans de nombreuses régions françaises, notamment en milieu rural, déserté par les jeunes diplômés en quête d’un meilleur équilibre de vie. Les effectifs de généralistes sont en chute libre.. La population est en augmentation…  Et elle est vieillissante… Nul besoin d’être docteur en sociologie pour pressentir  le drame.

Alors que fait la France ? Et bien, elle ouvre ses portes en grand aux médecins étrangers. En 2025, 107 médecins d’origine de Madagascar sont habilités  à intégrer ses hôpitaux. Le régime des praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) facilite cette intégration et permet aux médecins malgaches d’accéder à de meilleures conditions de travail et de rémunération.

Peut-on leur reprocher de saisir cette opportunité, loin des difficultés qu’ils rencontrent au quotidien … Et qu’on n’énumèrera pas … Certainement pas. Mais il faut peut-être pointer du doigt les carences d’un système et d’une administration incapable de maintenir et d’améliorer le système de santé … Incapable de véritablement motiver, reconnaitre et mobiliser ses acteurs les plus cruciaux. Les exemples où la démotivation des personnels médicaux semble avoir fait règle, font florès. … Faute de priorité véritablement établies, faute de moyens, faute de volonté politique… Et ce, malgré l’existence d’un Plan de Développement du Secteur Santé 2020-2024 qui restera, on le craint, encore bien théorique

Madagascar, c’est pourtant le terrain du défi sanitaire XXL. Des chiffres qui donnent le tournis : 8,6 médecins pour 100 000 habitants en ville, un seul pour 35 000 en brousse. Pas mieux du côté des hôpitaux, manara penitra ou pas,  pas de lits, pas de matériel, pas de moyens. Et les malades ? Ils marchent des heures, des jours durant pour espérer atteindre un centre de soins… La pauvreté généralisée freine encore plus l’accès aux soins, avec un système hospitalier largement dépendant du recouvrement des coûts et un manque chronique de médicaments. Et là où Madagascar compte un médecin pour plusieurs milliers d’habitants, la France leur offre des infrastructures de pointe, un statut, une sécurité. Qui refuserait ?  Ceux qui préfèreront être envoyés en RDC peut-être?

C’est là que le bât blesse. Former un médecin, ça coûte. Beaucoup. Investissement public, privé, familial… Tout le monde met la main à la poche. Mais au bout du compte, ce sont les malades malgaches qui paient le prix fort. Car ces médecins, censés soigner ceux qui en ont le plus besoin, partent ailleurs.

La santé, c’est un domaine que Madagascar ne peut pas se permettre de traiter comme un luxe. Pendant que les élites s’envolent pour se faire soigner à l’étranger, le peuple reste avec sa mortalité maternelle affolante.

Les solutions existent. Mais elles demandent du courage politique. Un vrai plan pour retenir nos médecins. Il faudrait évidemment des conditions de travail décentes, plus de matériel, plus d’hôpitaux, plus de moyens … Et plus de reconnaissance.

A moins qu’on ne décide, a contrario, de faire de notre jeunesse notre prochaine source de revenus à l’exportation… Mais il s’agit là d’une question de vision…

Patrick Rakotomalala. (Lalatiana PitchBoule)  Février 2025

Posted in: opinions