Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – Mars 2025
Avec l’imminence d’une réduction brutale de l’aide internationale, sur la route difficile du développement, le convoi Madagascar aborde un virage dangereux. Pendant des décennies, les bailleurs de fonds, les institutions multilatérales et les États partenaires ont, tant bien que mal et plutôt mal que bien, tenté de combler le tonneau des danaïdes de nos déficits publics… ou tenté d’offrir une couverture symbolique du financement des infrastructures… ou tenté d’assurer – de manière dérisoire – un minimum de protection sociale en santé et en éducation … Et tenté (ou fait semblent) de bâtir, sous un ventilateur, le château de cartes d’une économie structurellement exsangue.
L’impasse de l’aide
Mais ce modèle, que l’on sait en impasse depuis bien trop longtemps, ne touche-t-il pas à sa fin ? On en connait les tares. L’irrégularité et l’insuffisance des financements n’assuraient qu’une couverture extrêmement partielle des besoins réels en termes de santé, d’éducation ou d’infrastructures. Les chocs extérieurs sont d’autant plus violents sur nos économies déjà fragiles en cas de réduction de ces flux d’aide.
D’autant que cette assistance se contente souvent de pallier des déficits immédiats et freinent la promotion des réformes structurelles qui seraient indispensables pour instaurer une croissance durable et une autonomie économique.
On prend un parapluie pour réduire l’inondation causée par un trou dans le toit … Sans réparer le trou … Et le trou grandit … Et la réparation du toit est de plus en plus coûteuse … et de plus en plus impossible à engager … Et quand il y a un gros coup de vent style cyclone et ses Trump d’eau … Et que le parapluie s’envole… Bref … Vous m’aurez compris … On ne dira pas qu’il nous reste les yeux pour pleurer … Ce serait rajouter de l’eau à l’inondation .
L’aide qui privilégie des solutions à court terme, freine l’initiative locale, engendre une gestion inefficace des ressources et crée des distorsions qui détournent l’attention des réformes nécessaires à une véritable transition vers l’autonomie. On connait l’adage : la seule AIDE qui vaille c’est celle qui permet de se passer de l’AIDE
Dans un monde où les priorités stratégiques évoluent, où la montée des tensions géopolitiques redéfinit l’allocation des ressources, où la crise économique internationale impose des arbitrages plus stricts, Madagascar ne doit plus compter sur l’aide extérieure. Celle-ci diminue, les conditions d’accès aux financements se durcissent d’autant que les bailleurs posent (à raison ?) un chantage aux réformes structurelles profondes pour leur soutien.
Le réveil va être brutal quand on s’est longtemps endormi sur l’oreiller d’une assistance qui tenait lieu de seule politique économique.
Mais cette contrainte peut aussi être une opportunité. À condition de ne pas attendre passivement l’effondrement d’un modèle devenu insoutenable. À condition d’anticiper, de redéfinir les priorités, de bâtir une autonomie financière et stratégique.
L’illusion d’une assistance éternelle
On a trop longtemps fonctionné sur l’hypothèse implicite que l’aide internationale était une constante immuable. Que les grandes institutions de développement, les agences bilatérales, les ONG et les bailleurs privés continueraient à injecter des milliards pour pallier les failles du système et l’incurie du pouvoir. Ça a été vrai dans les années 2000, où l’annulation partielle de la dette et l’augmentation des aides publiques au développement ont permis de stabiliser le pays après ses crises successives.
Mais les signaux d’alerte étaient déjà là. L’efficacité de l’aide a toujours été discutée, son impact réel souvent remis en question. Trop souvent, elle a financé des projets courts-termes sans structurer une dynamique de développement pérenne. Trop souvent, elle a créé des dépendances, encouragé des politiques attentistes de pouvoirs défaillants, détourné l’attention des véritables leviers de souveraineté économique.
Aujourd’hui, les donateurs eux-mêmes réorientent leurs stratégies. Les priorités internationales changent : crise climatique, sécurité en Afrique, tensions géopolitiques en Ukraine et en Asie. Les budgets d’aide diminuent ou se dirigent ailleurs. Madagascar, comme d’autres pays, devient une variable d’ajustement dans ces nouvelles équations.
Un risque systémique pour l’économie malgache
Les chiffres sont sans appel : l’aide extérieure représente une part essentielle du budget de l’État malgache. Santé, éducation, infrastructures, programmes sociaux : sans financements internationaux, beaucoup de ces secteurs vont tomber en déliquescence. L’arrêt brutal de ces flux peut provoquer une crise budgétaire sans précédent, avec des répercussions directes sur la fourniture, déjà défaillante, des services publics, la réalisation des salaires des fonctionnaires…. Et ce d’autant qu’un choc brutal sur les finances publiques pourrait forcer l’État à prendre des mesures d’austérité draconiennes… Et réduire encore sa capacité d’action…
L’impact économique sera tout aussi sévère. Au nombre de projets de développement, sans parler des projets de solidarité et humanitaires, qui dépendent directement des financements extérieurs, ce sont des milliers d’emplois dans l’administration, dans les ONG, dans les entreprises travaillant avec des fonds internationaux sont en jeu. L’effet domino touchera la consommation, l’investissement, le moral des acteurs économiques.
Et la stabilité sociale dans tout ça ???
Se préparer à l’après-aide : un impératif stratégique
Attendre l’effondrement d’un modèle avant d’agir serait suicidaire. Madagascar doit dès maintenant amorcer sa transition vers une économie moins dépendante des financements extérieurs. Cela peut passer par des leviers stratégiques.
Réviser la fiscalité et élargir l’assiette fiscale
L’une des grandes faiblesses de notre économie est la faiblesse de sa collecte fiscale. L’État prélève peu et mal, laissant échapper des milliards chaque année en raison d’un système inefficace, d’une fraude massive et d’un secteur informel difficilement contrôlable. Nécessité absolue : une réforme fiscale ambitieuse qui puisse élargir l’assiette, améliorer la collecte, lutter contre l’évasion fiscale et optimiser la dépense publique. Il s’agira de formaliser l’économie informelle (sans l’étouffer), numériser et simplifier l’administration fiscale, améliorer la gouvernance pour évidemment réduire la corruption, cibler les secteurs sous-fiscalisés, éduquer et sensibiliser la population à l’importance de l’impôt, optimiser la fiscalité foncière et patrimoniale… Ce sont là les premiers chantiers…
Réviser les contrats et concessions d’exploitation
On l’a dit, redit et re-redit, La Grande Ile regorge de richesses naturelles considérables… Mais en capte trop peu la valeur. Les contrats d’exploitation favorisent trop souvent des intérêts extérieurs ou pire, des intérêts scandaleusement endogènes, laissant au pays des revenus dérisoires. Renégocier ces fameux contrats et concessions ? En voilà enfin une idée tellement évidente que personne ne semble pressé de l’appliquer. Il serait pourtant temps que la Grande Ile se rappelle qu’elle est souveraine… Et qu’elle n’est pas qu’une immense réserve de matières premières bon marché à la disposition d’investisseurs étrangers « bienveillants » ou de locaux aux poches trouées.
L’objectif serait évidemment de permettre à l’État malgache de collecter une part enfin décente des revenus générés, plutôt que les miettes tombées de la table. Un peu plus de transparence dans les négociations ne ferait certainement pas de mal, histoire d’éviter que les bénéfices disparaissent mystérieusement dans des circuits trop bien rodés.
Et quitte à être révolutionnaire jusqu’au bout, ne serait-il serait pas temps de cesser d’expédier nos ressources naturelles en vrac vers des destinations lointaines ? Investir localement dans des industries capables de transformer ces richesses est indispensable : créer des emplois sur place, former nos jeunes, développer une économie durable… bref, tout ce qu’on nous promet depuis plus de 60 ans sans jamais trop oser le faire. On ne sait jamais, ça pourrait fonctionner
Favoriser les investissements étrangers
Se passer de l’aide c’est aussi favoriser réellement les investissements étrangers en se gardant bien de tomber dans les travers évoqués plus haut qu’il faudrait encore corriger. Il faut donc accroître la compétitivité économique… En voilà une autre idée brillante mille fois ressassée, mais jamais concrétisée. Si l’objectif est d’attirer des investisseurs sérieux plutôt que des aventuriers ou des investisseurs douteux, et se montrer plus séduisants économiquement, c’est passer par des infrastructures dignes du XXIe siècle qui ne sont pas nécessairement des téléphériques …
C’est passer urgemment par la stabilisation d’un cadre juridique, aujourd’hui défaillant qui laisse trop souvent la main aux intérêts particuliers ou mafieux et fait fuir les investisseurs faute de sécurité…. C’est passer rapidement par une administration et une administration fiscale simplifiée, transparente, efficiente et lisible où il ne faut pas signer trente papiers dans trente-deux bureaux pour déclarer une modification d’activité. C’est évidemment investir massivement pour l’enseignement et pour la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et compétente, prête à répondre aux besoins réels des entreprises.
Et la Diaspora …
Et ici sujet qui nous tient à cœur…Si les zanak’ampielezana transfèrent chaque année des sommes conséquentes de l’ordre de 400 millions de $, ces flux financiers restent largement informels et sous-exploités. Et nous restons, j’en suis convaincu, en deçà du potentiel réel de transferts de la diaspora. D’autres pays ont su structurer l’épargne de leur communauté diasporique pour financer des projets de développement, via des obligations souveraines dédiées, des fonds d’investissement spécifiques, des incitations fiscales au rapatriement des capitaux. Il serait temps de sortir de l’incantatoire et du Yaka Focon, pour véritablement élaborer de manière intelligente et concertée les véhicules ad hoc pour mobiliser l’épargne de nos expatriés.
Il est évidemment inutile de rappeler que tout ceci ne peut souffrir de laisser plus longtemps la Dame Corruption vivre tranquillement sa vie … En sachant que la misère et la faiblesse du pouvoir d’achat sont les mamelles de la corruption courante. Et qu’on ne luttera contre la grande corruption qu’en résolvant rapidement aussi les racines de celle-ci..
Enumérer ces éléments semble relever du truisme, de l’évidence première, de recettes et préconisations d’experts maintes et maintes fois rabâchées par maints et maints experts nationaux et internationaux C’est vrai. Toutes ces réponses ont souvent été énoncées. Il n’est donc pas prétendu énoncer ici de nouvelles vérités.
Mais le seul vocable qui relèverait d’un registre révolutionnaire est en fait le mot URGEMMENT.
La fin progressive de l’aide internationale est un défi redoutable. Mais elle est aussi une occasion unique de repenser le modèle économique du pays, de le rendre plus résilient, plus souverain.
Il faut du courage politique, de vraies réformes structurelles, parfois douloureuses, une vision stratégique de long terme. Il faudra aussi un changement de mentalité : l’aide ne peut plus être un acquis, elle doit devenir un levier parmi d’autres, un outil au service d’un développement structurant et non un substitut aux responsabilités nationales.
L’histoire économique mondiale regorge d’exemples de pays qui ont su se libérer de l’assistance et bâtir leur propre modèle. Madagascar a les ressources, les talents et les opportunités pour en faire partie. Mais le temps presse. Attendre le choc est une erreur fatale.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 12 Mars 2025


Lydia Montalti
13 avril 2025
Cet article est d’une grande intelligence !
Pour les chinois et les japonais, le mot crise est constitué de deux idéogrammes Wei (danger) et Ji (opportunité)….
Il convient de rapprocher en effet en ce qui concerne Madagascar « crise de l’aide internationale » et « opportunité pour agir » !! Les dangers sont en effet imminents et un changement très radical des décisions et actions doit être prioritairement ciblé !
Lydia Montalti
lm@coreadvice.com