Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 01/07/25 – 6 minutes de lecture
Le bruit fait autour des négociations entre Madagascar et la France sur les Iles Eparses, ne pouvait que, moi, m’interpeller … Je me suis rêvé dans la délégation de négociateurs malagasy… Je me suis réveillé … 😊
Nous sommes là, face à vous. Parlons clair.
Nous sommes là, face à vous, à discuter de quelques grains de sable et de récifs que vous dites rattachés à vos “Terres Australes” et que nous appelons nos « Nosy Kely » (petites iles).
Vous voulez les garder, nous les réclamons. Depuis 1979, l’ONU nous donne raison. Depuis 1960, l’histoire nous donne raison. Et depuis que le monde est monde et depuis qu’on prétend que le bon sens existe, le monde sait que ce qui est juste n’est pas toujours ce qui est légal… Surtout quand les cartes du jeu ont été dessinées par ceux qui détenaient la règle.
Parlons clair …
Soyons clairs, vous ne gardez pas les Eparses par attachement affectif. Ce ne sont pas les tortues d’Europa ou les sables blancs et les eaux cristallines de Juan de Nova qui vous préoccupent. La ZEE, le quadrillage maritime, les lignes de fond halieutiques, les hypothétiques réserves de gaz et pétrole ou les supposées richesses des nodules polymétalliques pourraient être des sujets plus essentiels et plus dignes d’intérêt. Mais en fait, vous tenez à ces îles parce qu’elles vous prolongent stratégiquement… Et parce qu’elles projettent votre puissance loin des ronds-points de l’Hexagone.
La souveraineté est un principe
Et nous ? Nous n’aurions, paraît-il, pas les moyens de faire flotter un drapeau sur ces îlots. Pas de frégate, pas de satellite, pas de budget pour une station météo. Mais cela n’autorise personne à nous les confisquer. Ce n’est pas parce que nous ne pouvons pas, pour l’instant, y exercer notre souveraineté que ce droit ne nous appartient pas
La souveraineté n’est pas une médaille qu’on mérite. C’est un principe. Et quand bien même nous ne serions pas prêts à les administrer aujourd’hui, cela ne vous autorise pas à les verrouiller pour demain.
Une question de perte d’influence …
Soyons honnêtes : vous n’osez pas nous les restituer, non pas parce que nous serions incapables d’en faire quelque chose, mais, au-delà de vos enjeux géostratégiques, d’abord parce que vous avez peur que nous les négociions avec d’autres puissances. Pour d’autres alliances… Pour d’autres agendas. Nous comprenons votre crainte. Elle est rationnelle. Elle s’appelle crainte de perte d’influence. Vous l’habillez de précautions diplomatiques, d’arguties de solutions de co-gestion, de projets de coopération scientifique. Mais au fond, ce qui vous insupporte, c’est l’idée de ne plus tenir les cartes.
Nous savons ce que vous ne pouvez pas faire…
Nous savons aussi très bien dans quel piège vous êtes. Vous ne pouvez pas, politiquement, juridiquement, symboliquement, céder un centimètre carré du “territoire de la République” sans que les colonnes de vos oppositions ne hurlent à la forfaiture. Vous ne pouvez pas restituer ce que vous avez proclamé vôtre sans que certains, chez vous, crient à l’abandon, au reniement, à l’humiliation nationale. Et nous savons que dans vos imaginaires, l’expression “faire perdre un bout de la France” est un crime suprême.
Nous ne sommes pas naïfs. Nous voyons les mirages, les brouillards que vous tenter de diffuser pour repousser votre décision de rétrocession : le mot “cogestion” comme rideau, les protocoles scientifiques comme dérivatifs, les rencontres bilatérales sans échéance comme tranquillisants diplomatiques.
Mais nous ne venons pas vous demander de perdre la face. Nous venons vous aider à ne pas perdre le sens.
… Mais nous savons aussi ce que vous pourriez oser.
Il suffirait de considérer que, en vérité, vous ne perdez rien. Vous cédez une anomalie historique, vous corrigez une distorsion coloniale. Vous gagnez un allié, vous évitez un précédent imposé. Et surtout, vous pourriez démontrer que la France peut être une puissance mondiale sans être une puissance possessive. Les exemples d’anomalies diplomatiques et géopolitiques actuelles suffisent à montrer que la France peut se grandir en adoptant une posture de progrès… Elle l’a déjà fait.
Et nous, de notre côté, nous reconnaissons nos propres contradictions.
Nous réclamons la souveraineté sur des territoires que nous n’avons pas les moyens d’administrer aujourd’hui. Nous évoquons le potentiel halieutique mais nos pirogues ne chasseront pas les thoniers chinois… Ou espagnols… Ou français. Nous parlons d’intégrité, mais nous savons que sans coopération, ce serait du sable sous tutelle, des eaux sans surveillance, des droits sans effectivité. Quant aux fabuleux gisements promis par certains, disons-le franchement : aujourd’hui, c’est une galéjade.
Alors disons les choses franchement.
Ce conflit ne porte ni sur la vie de ces îles (elles sont vides), ni sur leur usage immédiat (il est marginal), ni même sur leur valeur économique réelle (elle est spéculative).
Ce conflit porte sur la maîtrise des récits : qui écrit l’histoire, qui la clôt, qui la reconnaît.
Pour vous, rendre ces îles à Madagascar, même dans quarante ans, c’est ouvrir la boîte de Pandore : Mayotte, Polynésie, Nouvelle-Calédonie… C’est tout le domino de votre outre-mer qui se voit vaciller… Pour nous, les reprendre c’est refermer un cycle d’infériorité, c’est dire que notre voix porte, même après soixante ans de silence.
Et pourtant, il y a peut-être une autre voie.
Nous pourrions bâtir ensemble une souveraineté en transition. Une souveraineté qui commence par la reconnaissance de notre droit, et pourrait s’accompagner d’un transfert de capacité. Un passage de relais maîtrisé, construit, structuré.
Une période de co-administration, mais sans ambiguïté sur l’objectif : le retour plein et entier à la souveraineté malgache. Vous voulez préserver votre rôle stratégique ? Aidez-nous à bâtir les moyens de notre présence maritime et de notre sécurité maritime. Vous craignez un vide ? Remplissez-le avec nous, pas à notre place.
Parce que sans cela, vous poursuivez une fiction néocoloniale que vous avez cessé d’assumer, mais que vous n’avez pas cessé d’exercer. Quant à nous, à défaut de pouvoir affronter frontalement cette fiction coloniale, nous la nommons… Cela ne suffit-il pas à fissurer la façade ?
Mettons cartes sur table. Nous savons que les hydrocarbures vous excitent moins qu’en 2008 quand, avant la crise de 2009, le baril flirtait avec les 140$. Nous savons que Total s’agite mais temporise. Nous savons que les scientifiques viennent observer les oiseaux mais pas les pêcheurs clandestins. Nous savons que les Glorieuses sont vides, que Juan de Nova est muette et que Europa dort sous le vent. La seule vraie richesse de ces îles aujourd’hui, ce sont les émotions qu’elles suscitent : les vôtres, celles d’une possession feutrée ; les nôtres, celles d’une dépossession amère.
Nous ne venons pas vous demander un acte de charité. Nous venons vous proposer un pacte politique. Une manière élégante de solder ce contentieux historique sans perdre la face.
Une manière pour vous de montrer au monde que vous savez encore réparer les erreurs du passé, sans attendre qu’un tribunal vous y contraigne comme les anglais y ont été contraints pour les Chagos. Et une façon pour nous de prouver que la souveraineté peut se construire avec méthode… Et pas seulement avec des slogans.
Vous tenez à ces îles ? Nous tenons à notre dignité. Faisons en sorte que ces deux attachements ne s’excluent pas.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 01/07/25


Biloute
3 septembre 2025
Madagascar avant l’époque coloniale a t’elle administrée ces îles? Les a t’elles occupé et mises en valeur ? Les a t’elle défendues ? Non, non et non. Pourquoi aujourd’hui prétendre à un droit quelconque sur ces îles dont l’état n’avait même pas connaissance avant l’époque coloniale ?