Manifestations Gen Z : chroniques d’un centre de secours et de soins

Posted on 24 octobre 2025

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Chroniques médicales des manifestations à Antananarivo (par Pascale Tuseo Jeannot)

J’ai demandé, à ma grande honte a posteriori, à mon amie Pascale Jeannot de justifier des dépenses qu’elle avait engagées en termes de soin aux blessés des manifestations, sur nos envois de fonds … J’ai découvert que les missions de traitements et de soins que l’équipe avait assurées ne s’était pas interrompues avec la fin des manifestations et l’arrêt des interventions des forces armées.  Le traitement des séquelles des blessures reçues et la prise en charge des traumatismes vécus devaient être maintenus … Je publie ici, pour rendre hommage à leur abnégation, son rapport qu’elle a enrichi d’histoires de blessés et d’histoires de vie.

Par Pascale Tuseo Jeannot (Octobre 2010). présidente de l’ONG LCDM-SOLIMAD Drépanocytose Madagascar

Depuis le début des manifestations à Antananarivo, la capitale malgache a été le théâtre d’une répression d’une rare intensité : tirs à balles réelles et en caoutchouc, gaz lacrymogènes, violences physiques multiples. J’ai collaboré avec le Dr Domoina Soa Kanto Rakotonoely, médecin libéral exerçant depuis plus de quinze ans à Ambondrona (Totobato), dont le cabinet, face à l’afflux de blessés,  s’est spontanément transformé en centre d’urgence improvisé.

Sa position centrale et la confiance acquise au fil des années auprès de la population ont fait de cette structure un refuge pour de nombreux manifestants blessés. Je veux saluer ici l’engagement silencieux de soignants bénévoles qui ont poursuivi leur mission bien après la fin des heurts.

Une équipe engagée et aguerrie

Au-delà de son activité libérale, le cabinet du Dr Domoina s’est illustré depuis plusieurs années par des actions bénévoles dans des zones enclavées, auprès de populations vulnérables. L’équipe, composée de médecins, anesthésistes, paramédicaux et internes, a déjà démontré son efficacité lors de la pandémie de COVID-19 grâce à une organisation rigoureuse et une grande réactivité.

La convergence avec LCDM-SOLIMAD, structure reconnue pour son approche communautaire et son expertise dans la prise en charge des maladies chroniques comme la drépanocytose, a permis d’établir un partenariat fluide et efficace. L’expérience acquise dans la gestion des crises sanitaires s’est avérée déterminante face à la brutalité des événements récents.

Soixante blessés pris en charge

Depuis le 25 septembre 2025, le cabinet a soigné soixante blessés. Les atteintes les plus fréquentes concernent des brûlures au visage dues aux gaz lacrymogènes, des fractures (membres, mâchoires), des traumatismes crâniens, des asphyxies par inhalation, ainsi que des plaies par balles, réelles ou en caoutchouc.

Certaines interventions ont nécessité l’extraction de projectiles, dans des conditions précaires et sans moyens hospitaliers lourds. Les soins requièrent d’importantes quantités de produits médicaux essentiels : anesthésiques, antalgiques, antibiotiques, désinfectants, compresses, gants et fils de suture.

Un relais face à la saturation des structures  hospitalières

Dans les hôpitaux publics d’Antananarivo, notamment au Centre Hospitalier Joseph Ravoahangy Andrianavalona (HJRA) et à Befelatanana, les soins d’urgence demeurent souvent payants. Beaucoup de blessés ont dû interrompre leur traitement faute de moyens financiers.

Le cabinet du Dr Domoina a alors pris le relais, assurant gratuitement la continuité des soins, soutenu par des dons citoyens et des initiatives de solidarité. La Croix-Rouge Malagasy a apporté un appui ponctuel. Le cabinet travaille également en réseau avec d’autres confrères pour assurer un suivi médical coordonné des patients référés.

Conditions de travail éprouvantes

Les soignants assurent des permanences sept jours sur sept, souvent jusqu’à des heures avancées de la nuit. La fatigue et le manque de ressources pèsent lourdement sur l’équipe, confrontée à une demande croissante.

Les besoins prioritaires concernent le réapprovisionnement en médicaments et consommables de base, le soutien nutritionnel pour les blessés (alimentation protéinée, hydratation renforcée), ainsi qu’une aide logistique pour le personnel médical (collations, transport, hygiène).

Onze patients ont bénéficié d’un transport financé par le cabinet. Parmi eux, un jeune homme grièvement blessé par balle réelle près de l’hôpital pédiatrique de Befelatanana a dû être amputé de la jambe gauche et reste hospitalisé à l’HJRA.

Blessures invisibles et détresse psychologique

Au-delà des traumatismes physiques, les soignants observent des conséquences psychologiques sévères : anxiété, stress post-traumatique, peur des représailles. Plusieurs blessés refusent de se rendre dans les structures publiques, par crainte ou manque de moyens, se soignant seuls dans des conditions dangereuses.

Ces souffrances sont aggravées par la malnutrition, la fatigue et la déshydratation, facteurs qui ralentissent la cicatrisation et accentuent la vulnérabilité sociale de nombreux jeunes manifestants.

Appel à la solidarité nationale et internationale

Le rapport appelle à une mobilisation urgente. Les auteurs soulignent que la santé et la dignité humaine doivent rester des priorités absolues, indépendamment des circonstances politiques. Ils exhortent :

  • les institutions publiques et partenaires techniques à garantir la continuité des soins;
  • les citoyens, entreprises et organisations à apporter un appui matériel et financier ;
  • les instances nationales et internationales à veiller au respect du droit fondamental à la santé et à la vie.

Une résilience exemplaire

Ce rapport ne se limite pas à un état des lieux médical ni à la mise en lumière d’une seule structure particulière. Il y en a eu d’autres et d’autres initiatives courageuses et généreuses. Mais il illustre la résilience d’une communauté médicale engagée face à la violence et à la détresse collective. Ici, malgré l’épuisement et le manque de moyens, l’équipe poursuit son action au service des blessés.

Les soins devront se prolonger plusieurs semaines encore, mobilisant ressources humaines et financières supplémentaires. Les blessures visibles guériront peut-être, mais les plaies morales et sociales laissées par ces événements risquent de marquer durablement les consciences.

Les dépenses engagées pour la période couvrent produits pharmaceutiques, transports, repas, matériel et soins hospitaliers. Des sommes qui paraîtront modestes au regard du courage et du dévouement de ceux qui, dans l’ombre, après avoir secouru continuent de soigner et de témoigner pour que la douleur des rues d’Antananarivo ne soit pas oubliée.

Récits de vies, récits de blessés (Par Pascale Tuseo Jeannot)

1.           Aina Sarobidy – La vie précieuse qui veut se relever

Il s’appelle Aina Sarobidy, “vie précieuse” un nom qui semble aujourd’hui porter tout son sens. Le 22 octobre 2025, il a soufflé ses 28 bougies, dans un lit d’hôpital, la jambe gauche amputée après une balle reçue lors de la répression des manifestations à Antananarivo.

Avant ce drame, Aina était mécanicien dans une grande société multinationale, un travail qu’il aimait et qui lui permettait de subvenir fièrement aux besoins de sa famille. Les chirurgiens ont tout tenté, mais la blessure était trop grave : os, muscles, artères… La décision de l’amputation était inévitable. Quand nous lui rendons visite, il nous accueille avec un sourire calme.

C’est son anniversaire, dit-il, presque timidement. À ma question sur ce qu’il souhaiterait pour son avenir, il répond : “Un fauteuil roulant pour commencer… puis une prothèse, pour pouvoir marcher de nouveau et travailler.”

Dans sa voix, aucune plainte. Seulement la volonté farouche de rester debout, digne, vivant, comme il l’était avant qu’une balle réelle, tiré par les forces de l’ordre dans les environs de l’hôpital Befelatanana ne cherche à l’abattre.

2.           Il rêvait de soigner les autres, il apprend aujourd’hui à se relever.

C’étaient des jeunes manifestants, près d’Anosibe – Anosy, quand les gaz lacrymogènes ont laissé place aux tirs à balles réelles. Au milieu du chaos, il voit deux camarades s’effondrer, un troisième blessé au sol. Instinctivement, il court pour l’aider à s’éloigner… une balle traverse alors sa hanche, ressortant derrière, épargnant miraculeusement les os.

Étudiant en série D, il rêve de devenir médecin. Deux fois, il a présenté le baccalauréat, obtenant 13 de moyenne trop juste pour les 16 points exigés à l’entrée de la Faculté de Médecine. Mais au lieu de céder au découragement, il choisit d’avancer. Aujourd’hui, entre soins et douleurs, il apprend les langues, travaille pour soutenir sa mère qui les élève seule, avec ses frères et sœurs, et prépare un troisième essai pour enfin atteindre son rêve.

Sa détermination symbolise toute une génération, celle d’une jeunesse malgache qui refuse de s’incliner, qui se bat pour transformer l’injustice en espoir, et l’épreuve en moteur d’avenir.

3.           Marcher encore, malgré les balles.

Il rentrait simplement du travail lorsqu’une balle lui a transpercé le tibia gauche, de part en part. Employé dans un call center spécialisé en énergie verte, il a pu compter sur la bienveillance de ses employeurs, restés en contact et attentifs à son rétablissement.

Aujourd’hui encore, il se déplace avec des béquilles, espérant bientôt reprendre le travail, pas à pas, au rythme de ses forces retrouvées.

À son histoire s’ajoute celle d’une jeune femme, étudiante, touchée , de dos,au mollet par une balle “en caoutchouc” alors qu’elle courait se mettre à l’abri de la charge des forces de l’ordre. Le trou laissé dans sa chair dit tout de la violence du moment.

Aucun d’eux n’était armé. Aucun n’était une menace. Ils ne faisaient qu’exprimer un espoir. Et pourtant, ailleurs, certains s’évertuent à nier l’évidence : celle d’une répression à balles réelles, sans condamnation, où la jeunesse qui rêve d’un avenir meilleur devient la cible d’un pouvoir qui redoute simplement leur courage

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