Par Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 26/10/25
Spéciale dédicace à toutes les mamans gasy de la Diaspora… Et à leurs enfants
La déchéance de nationalité du président Andry Rajoelina marque un tournant majeur de la vie politique malagasy. Elle met fin à une anomalie juridique — un chef d’État qui a volontairement demandé sa naturalisation française, devant perdre de ce fait sa nationalité malgache.
Mais cette affaire n’est pas un simple incident administratif. C’est une aberration politique et morale : celle d’un pays découvrant que celui qui incarnait sa souveraineté l’a juridiquement trahie. Elle oblige surtout la nation à se regarder en face : veut-elle se penser comme exclusive ou ouverte ? Méfiante ou confiante envers ses enfants d’ici et d’ailleurs [i]?
Une déchéance pour une trahison symbolique opportuniste et indécente
Le scandale de la double nationalité d’Andry Rajoelina ne relève pas d’un hasard, mais d’un choix opportuniste. Il s’agit de la duplicité d’un dirigeant revendiquant les droits de deux nations tout en exerçant la plus haute charge d’une seule. Comment représenter la Nation sans en faire partie ?
C’est un peu le capitaine de foot qui arrive sur le terrain en palmes de plongée : une image d’absurdité et d’humiliation symbolique. Le peuple n’a plus accepté cette dissociation entre la fonction et l’appartenance. Le slogan « Miala prezida vazaha » résonne comme un cri de mobilisation nationale, sur fond de sentiment anti-impérialiste alimenté par le soupçon d’allégeance à reny malala.
Déchéance : nécessité et danger
Face à ce scandale, la déchéance de nationalité prévue par la loi était pleinement légitime — et même souhaitable. Mais il faut manier cet outil avec la plus grande prudence. Dans les régimes fragiles, il devient aisément une arme politique. Instrumentalisé, il peut servir à éliminer des opposants sous couvert de patriotisme ; détourné moralement, il alimente la suspicion envers les binationaux, assimilés à des “demi-citoyens”; mal encadré, il engendre l’arbitraire et fragilise l’État de droit.
Dépassant son cadre judiciaire — fraude ou trahison prouvée — la déchéance finit par diviser, discriminer et radicaliser. La citoyenneté, censée unir, devient instrument d’exclusion. On voit déjà fleurir ici et là des appels à la déchéance en chaîne de tous les binationaux. Alors que, on le sait, les nations qui, à l’inverse, ont réaffirmé l’égalité des appartenances — du Canada à l’Afrique du Sud ou au Rwanda post-1994 — ont consolidé leur cohésion en choisissant la confiance plutôt que la peur.
Une diaspora qui se métisse, miroir de la 19ᵉ tribu
C’est dans la caractérisation de ce que j’appelais la 19ème tribu [ii]qu’il faut lire les données de l’enquête Diaspora AINGA & AKO, menée par l’IRD dans le cadre du projet TADY avec le soutien de Fact Madagascar. Longtemps perçue comme périphérique, la diaspora malagasy incarne un visage contemporain de la Nation : jeune, ouverte et profondément métissée.
Les résultats sont éloquents : une grande partie de la deuxième génération se définit autant malgache que française. Et c’est éminemment normal. Cette pluralité n’est pas une perte, mais une extension vivante de la nation malgache dans le monde. Cette “dix-neuvième tribu”, celle des malagasy ampielezana, conserve un lien profond avec l’île :
– 70 % envoient régulièrement des fonds ou soutiennent des projets de développement ;
– 80 % sont prêts à partager leurs compétences ;
– la moitié participe à des associations culturelles ou caritatives. [iii]
Le métissage, loin d’affaiblir l’identité, en devient la force. Et non, on est très loin du “Grand Remplacement” — qu’on se rassure. Ce n’est pas parce qu’un Cédric vazaha rainilainga a perverti l’idée d’identité nationale qu’il faut jeter tous les binationaux avec l’eau du bain.
Le métissage en horizon d’avenir ?
Vouloir une identité “pure”, c’est ignorer la nature même de Madagascar : un carrefour de peuples, de langues et de cultures depuis mille ans. La grandeur d’une nation ne réside pas dans la fermeture, mais dans sa capacité à transformer l’altérité en énergie commune.
Les Franco-Malgaches ne sont pas des “étrangers privilégiés”, mais des vecteurs d’enrichissement réciproque. Leurs expériences, leurs réseaux et leur double culture sont des leviers de développement et de diplomatie. Leur métissage linguistique et professionnel constitue un atout stratégique dans un monde où la diversité fait la force.
L’enquête AINGA le souligne : une intégration réussie de la diaspora doublerait les transferts financiers et renforcerait la confiance envers les institutions. La reconnaissance de cette “23ème région extérieure” ne fragilise pas la Nation et l’État malgache : elle les prolonge.
De la méfiance à la confiance : revisiter la loyauté nationale
La crise ouverte par la déchéance du président offre une occasion rare : repenser le contrat civique. L’enjeu n’est pas d’opposer ouverture et exclusivité, mais de redéfinir ce que signifie être Malgache aujourd’hui.
La loyauté ne se mesure plus à un passeport, mais à la contribution au destin collectif. Être Malgache, c’est enseigner, entreprendre, soigner, investir, défendre la dignité du pays — qu’on vive à Antananarivo, Paris, Montréal ou Mahajanga. Voilà la véritable souveraineté : celle d’un peuple qui se reconnaît dans ses valeurs plus que dans ses frontières.
La déchéance d’Andry Rajoelina doit servir de leçon, non de modèle. La trahison n’est pas dans la double appartenance, mais dans le reniement volontaire de son allégeance. La fidélité, elle, peut se décliner au pluriel.
Conclusion : reconstruire la Nation en assumant le monde
L’affaire Rajoelina n’a pas seulement révélé une faute individuelle… Elle a mis à nu une question essentielle : qu’est-ce qu’être Malgache ? Parce qu’on ne peut opposer pureté identitaire et ouverture diasporique. L’avenir réside dans la synthèse de nos origines et de nos horizons : et vivre un pays enraciné dans sa culture mais capable d’embrasser le monde sans se perdre.
Le paradoxe moral est clair : en prétendant défendre la souveraineté et l’identité, on risque de diviser la communauté nationale et d’entretenir la peur de l’altérité. Une nation ne se protège pas en retranchant ses enfants, mais en renforçant les liens qui les unissent.
La déchéance doit rester exceptionnelle, encadrée et transparente — pour corriger l’indignité, et non pas pour entretenir la méfiance.
Notre “dix-neuvième tribu”, cette diaspora métissée, ne menace pas la Nation : elle en est le prolongement. Elle porte la conscience projetée de Madagascar dans le monde. L’enjeu n’est pas de la contenir, mais de l’intégrer pleinement au récit national.
Une nation qui sait accueillir ses enfants d’ailleurs s’assure un avenir chez elle. Pourvu que le plus grand nombre l’entende
Patrick Rakotomalala (Lalatiana Pitchboule) – 26/10/25
ERRATUM : Quand j’ai écrit sur Madagoravox le papier auquel je fais référence, il n’y avait que 22 régions. Elles sont 24 aujourd’hui. On devrait donc effectivement parler désormais de la vingt-cinquième région
[ii] https://madagoravox.com/2019/06/01/23eme-region-ou-19eme-tribu-de-madagascar-la-diaspora/


AUBERT
31 octobre 2025
Oui, c’est le bon sens même, c’est à dire qui fait grandir et enrichir la personne humaine. Comme tu l’exprimes aussi, il faut que des gardes-fous juridiques soient mis en place.
Amitiés