Par Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 30/10/25
Spéciale dédicace à ma pongiste préférée
Une génération décisive mais effacée
Ils ont marché, crié, filmé, affronté les matraques et les balles. Ont jeté des pierres, couru, se sont étouffés sous les nuages de lacrymogènes. Ce sont eux, les jeunes de la Gen Z, qui ont fissuré le mur de notre pusillanimité, fait trembler la forteresse Ravatomanga-Rajoelina et ont permis qu’on la voie, de manière inespérée s’effondrer… Et ont rendu à ce pays un peu d’honneur collectif.
Ce ne sont pas des héritiers… Ce ne sont pas non plus des des professionnels de la politique : ce ne sont que des jeunes citoyens sans illusions qui, sous la bannière pirate d’un One Piece joyeusement appropriée, affirmaient juste assez de lucidité pour dire Stop ! … trop, c’est trop !
Et pourtant, à peine la tempête apaisée, on les a carrément effacés du décor… Hop un coup de lasso magique … « Vous avez vu des jeunes avec un chapeau dans le paysage ? Nous, non… . »
Pas un seul d’entre eux au Conseil de Défense Nationale de Transition. Pas un seul dans les ministères de souveraineté. Ah si … Un ultime strapontin symbolique à travers un portefeuille de consolation : la Jeunesse et les Sports… Mais bien sûr … Allez donc remplir des stades Barea, c’est tout ce qu’on peut vous accorder… Le camouflet, à mes yeux, n’en est que plus insupportable.
Et pendant qu’ils mesurent le prix de leur engagement, la composition du gouvernement révèle un retour ordonné des équilibres anciens. On y retrouve une majorité de profils issus de l’appareil administratif et militaire, souvent déjà présents dans les précédentes transitions ou gouvernements de consensus.
Autour d’eux gravitent quelques figures du secteur privé, de l’université et de la société civile “institutionnelle”, qui semblent, à quelques rares exceptions près, avoir été majoritairement choisies davantage pour leur capacité d’intégration que pour leur esprit de rupture.
L’ensemble dessine un dispositif de continuité, plus soucieux de rassurer les forces établies que de traduire l’élan populaire en réforme.
Le pouvoir semble être ainsi revenu dans les mains de ceux qui maîtrisent depuis toujours l’art de reconvertir les crises en stabilité politique — une stabilité qui rassure le système, mais qui trahit la promesse du changement. Et aucune trace de cette génération qui, pourtant, a remis la nation en marche.
Un cynisme institutionnalisé
A ce stade, ce n’est même plus de la maladresse politique ; c’est de la mécanique. À Madagascar, quand le peuple se lève, les vieux réseaux s’assoient. La bravoure devient décor de plateau, la jeunesse devient légende, et la continuité du système se fait passer pour stabilité…. On l’a vu en 72… On l’a revu après.
On nous parle de fihavanana et de fahamarinana ; Mais ce qu’on risque de voir, c’est une transition qui s’appuie moins sur l’élan du renouveau que sur les réflexes usés du clientélisme et des fidélités de circonstance.
Le spectacle est affligeant : ceux qui invoquent la refondation nationale se livrent à une lutte fébrile pour des fragments d’influence, en semblant oublier encore une fois que l’enjeu n’est pas de sauver leur position (ou d’en gagner de nouvelles) mais de bien de sauver le pays.
La refondation de mue en marché d’alliances, la dignité en stratégie de siège. C’est la confiscation du mérite devenue méthode, la continuité du privilège maquillée en stabilité. Ainsi va la politique …
Le mépris comme politique d’État
Mais le plus violent n’est pas l’exclusion, c’est le silence. Notre silence.
Ce silence satisfait de ceux qui, tout en se proclamant “refondateurs”, savent très bien ce qu’ils font : reconduire l’ordre ancien sous une nouvelle pancarte. Le mépris est d’autant plus insupportable que ces jeunes n’ont rien demandé d’autre qu’un droit : celui de participer à la reconstruction du pays qu’ils ont aidé à libérer.
Mais en fait de reconnaissance, ils ont reçu le paternalisme. Au lieu de place, l’humiliation. Et nous, société civile, intellectuels, journalistes, nous restons figés dans une neutralité polie qui finira par ressembler à de la lâcheté.
Parce que ne pas dénoncer cette violence symbolique, c’est la cautionner. C’est participer à la mise à mort du sens civique et de ce sentiment collectif que ces jeunes avaient fait renaître.
Ce qu’on a aimé de cette génération, avec ses maladresses et son insolence, c’est qu’elle portait une promesse des plus précieuses : celle d’un sens retrouvé de la responsabilité collective. En les humiliant, c’est cette responsabilité qu’on assassine.
Une refondation déjà trahie
La Charte de Transition promettait transparence, éthique et réconciliation. Le texte invoque Dieu, la Patrie et la dignité du peuple ; mais dans les faits, il exclut ceux qui ont incarné cette dignité dans la rue. Tout est là : le vernis moral, la prose solennelle… Mais derrière prévaut probablement la même logique : ménager les alliances, recycler les visages.
On aura vu ici deux exploits successivement : Une jeunesse qui arriver à déclencher un renversement de pouvoir en 3 semaines … et une refondation qui arrive à se monter sans les refondateurs … Chapeau les artistes.
La transition s’ouvre sur la confiscation, et l’histoire risque de recommencer, fidèle à elle-même : un cycle de trahison polie entre élites qui se connaissent trop pour se craindre.
Et nous, que faisons-nous ?
Le plus désespérant, c’est que les acteurs savent qu’ils commettent un honteux hold-up.
S’ils ne le savent pas, ils sont d’une inconséquence pathétique.
S’ils le savent, il sont d’un cynisme glacial : celui de ceux qui, même après avoir été sauvés par la jeunesse, préfèrent l’ignorer plutôt que la remercier.
Mais ce cynisme n’est pas seulement le leur ; il devient le nôtre si nous continuons à nous taire. Parce qu’à force de tolérer l’injustice, on finit par la normaliser.
À force d’admirer la résilience des jeunes, on en oublie de défendre leur place.
Et à force de parler de refondation sans refondateurs, on fabrique une nation sans avenir.
Il faut le dire sans détour : cette confiscation de leur mérite est une ignominie… Ignominie sociale, politique… Et ignominie morale.
On ne construit pas un pays sur la frustration de ceux qui l’ont sauvé.
On ne bâtit pas une Nation sur cette course indécente aux privilèges menée par ceux qui n’ont rien risqué, mais se partagent aujourd’hui les dividendes du courage des autres.
Le devoir d’exigence
La jeunesse n’a pas besoin de pitié, elle a besoin de confiance.
Elle a prouvé qu’elle pouvait faire tomber un système. Ne faut-il pas lui donner les moyens de la construction d’un nouveau ?
Notre devoir, à nous, est de refuser le confort du silence. De dire que ce qui se passe est une trahison, pas une transition. De dire que si l’on veut parler de “refondation nationale”, il faut d’abord commencer par une refondation morale : celle qui consiste à ne plus accepter que le courage se paie de mépris.
Parce qu’un pays qui humilie sa jeunesse signe déjà son propre déclin.
Et parce qu’à force d’exclure les plus légitimes, on prépare le jour où cette jeunesse n’aura plus foi dans le dialogue, mais cherchera à rétablir l’équilibre à sa manière.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) 30/10/25


Posted on 30 octobre 2025
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