Par Lalatiana Pitchboule
Ci-après quelques modestes réflexions sur la prétendue inculture politique des malgaches et les difficultés de nos systèmes politiques … Le débat est ouvert.
A l’aune de la crise politique qui touche Madagascar depuis un an et à l’examen des difficultés de mise en place d’un système politique stable dans notre pays en voie de sous-développement, se pose la question de la citoyenneté. Ce paradigme de la citoyenneté se définit lui-même sur des enjeux de responsabilité de l’individu vis-à-vis de la collectivité nationale. Responsabilité des dirigeants politiques, mais aussi responsabilité de chacun des acteurs d’une société qui devraient bâtir ensemble l’avenir de leur nation.
C’est bien la défaillance de cette responsabilité vis-à-vis du collectif qui caractériserait les problèmes de gouvernance, les comportements prédateurs, l’incivilité des comportements, les sentiments d’impunité, tous éléments ferments de l’instabilité politique.
Nous posons une hypothèse : Il s’agirait là d’une forme de désobéissance à la loi fondamentale, à savoir la constitution qui définit, d’une part, les principes d’un cadre de référence général, d’autre part, les dispositions de fonctionnement des institutions et, enfin, les modalités de représentation des citoyens.
C’est sur cette hypothèse de la désobéissance à la loi fondamentale, que la question de l’acceptation de la loi et de l’identification à la loi se poserait : « comment respecter ni même accepter un système défini sur des valeurs dans lesquelles, moi citoyen, JE ne me reconnais pas ? »
Les termes du problème de la politique malgache sont énoncés : identité, valeurs, collectivité nationale, collectif … sur lesquels on peut énoncer certains postulats.
Postulat 1 :
Cette désobéissance à la loi est symptomatique du rejet d’un système dans lequel
1) le citoyen ne se reconnaît pas en termes de responsabilité vis-à-vis de la collectivité nationale 2) doute de sa représentativité et ne sent pas entendu.
Perdant toute confiance dans le système, il ne peut se projeter dans l’avenir. « Comment puis-je participer à un projet collectif national quand je ne peux me reconnaître acteur de ce projet collectif ? »
Postulat 2 :
Ce rejet serait dû à une discordance patente entre, d’un coté, un droit et des
institutions strictement héritées de la colonisation (issus d’us et coutumes occidentales) et, d’un autre coté, une culture, un droit et des organisations sociales traditionnelles. L’acculturation (au sens de modèle étranger calqué depuis l’extérieur) dont souffrent nos systèmes politique, juridique, institutionnel, administratif sape l’installation d’un système pérenne, approuvé et DEFENDU par tous les citoyens de la nation malgache.
Postulat 3 :
Alors même que les valeurs traditionnelles prônent la prépondérance du collectif et du consensus, les évènements de 2009 (« le pouvoir appartient à la rue … le consensus n’est pas possible ») reflétaient un rejet des ces valeurs ancestrales de consensus. Les hommes politiques actuels devraient prendre conscience que la rupture qu’ils vivent avec le peuple quant à ces valeurs sera irrémédiable.
On constate une dichotomie caractérisée entre, d’une part, une culture démocratique occidentale fondée sur l’individualisation et son système démocratique où la majorité l’emporte sur la minorité et, d’autre part, une culture et des valeurs traditionnelles malgaches traditionnelles fondées sur le consensus social (fihavanana et teny iarana) et l’intégration. Ce système majoritaire serait vu chez le malgache comme profondément frustrant.
Il y a là une forme de rupture entre deux pans de la société malgache : entre les anciens (attachés aux structures et valeurs traditionnelles) et les modernes (éduqués ou aliénés sur un modèle et des valeurs occidentales). Même si ces « modernes » restent toutefois profondément attachés à leur identité, écho d’un inconscient collectif extrêmement fort.
En fait, le passage à la modernité ne s’est pas fait avec « l’accompagnement au changement » qu’il aurait été nécessaire d’opérer. Les revendications identitaires brutales de 72 et 75 en témoignent.
En zones urbaines en particulier, cette modernité qui a mis en avant des enjeux d’image de l’individu, de respect du succès et de la réussite à tout prix, a aliéné les valeurs originelles perverties par l’image de modèles inaccessibles et inadéquats.
L’acceptation de la modernité devrait établir un juste équilibre entre cette valorisation de l’individu, de sa capacité d’initiative et de son mérite tout en préservant la cohésion du groupe social fondée sur des valeurs traditionnelles d’intérêt collectif.
Postulat 4 :
L’absurdité s’avère encore plus grande quand les institutions mises en place ne visent qu’à définir les mécanismes d’acquisition et de contrôle du pouvoir et non pas les mécanismes assurant la représentativité des individus. Les échos que l’on a des idées d’une nouvelle Constitution ne diffèrent pas : les enjeux affichés sont « comment mettre en place des contre pouvoirs ». Absurdité… Les enjeux devraient être « comment assurer une réelle représentativité ? ». Les contre pouvoirs seraient alors naturels.
En zones rurales en particulier, la représentativité des individus n’est pas garantie dans ces institutions et administrations héritées d’un système à vocation fortement centralisée.
L’instabilité politique a empêché la mise en place des structures, organisations d’une décentralisation ad hoc, seule capable de, justement, stabiliser politiquement le pays en définissant des niveaux de décision et d’exécution plus proches des individus en leur rendant la parole au regard des structures sociales effectives. Les errements successifs de la décentralisation, en termes de mise en place depuis 1960, attestent de la difficulté à bâtir de manière stable un système où les principes de subsidiarité (responsabilité et reconnaissance de la compétence à chaque niveau) seraient fermement établis.
Quitte à bâtir une nouvelle constitution, celle-ci devrait poser une fois pour toutes les principes, les institutions et modalités d’une décentralisation effective.
Postulat 5 :
Une profonde contradiction demeure. S’il peut assumer son rôle et son sens du collectif au niveau de son groupe social et de son terroir immédiat (niveau le plus bas : famille et fokonolona) , le malgache n’identifie pas son intérêt dans l’élargissement à un niveau d’organisation sociale, administrative et politique supérieur. « Je veux bien m’impliquer au niveau de mon groupe social immédiat, au niveau de mon terroir immédiat, mais pour ce qui est de la région ou de l’Etat, ce n’est pas mon problème. C’est le problème de ceux qui savent, de ceux qui ont l’instruction et le pouvoir ». Mais en même temps, qu’il délègue toute responsabilité au pouvoir d’en haut, il se défie profondément du gouvernement (« un fourre-tout, tous pourris »), et s’enferme dans une forme de résignation dont il ne sort que dans l’explosion sociale brutale.
Postulat 6 :
Le malgache reste profondément attaché à l’image et au rôle du ray-amandreny, sage qui soutient, protège et arbitre. Le titre « zanak’i dada » qui définit les partisans fervents de Ravalomanana, en est la caractéristique qui reflète un archétype culturel. Il est idiot de le mépriser et de vouloir le bannir.
Le ray-amandreny tire sa légitimité du groupe social qui le reconnaît et le désigne dans son rôle de sage et d’arbitre. Non désigné, celui qui ne s’affirme ni sage, ni arbitre capable de préserver le consensus social ne peux pas être reconnu légitime. S’avère ici une erreur politique fondamentale des dirigeants actuels. Ne sera reconnu comme ray-amandreny que l’arbitre qui saura préserver le consensus et le sens de la Nation.
La question fondamentale se pose alors : comment envisager la possibilité de bâtir une nouvelle constitution et une nouvelle République, qui plus est sous l’égide d’institutions internationales étrangères, alors que les problèmes fondamentaux ne sont pas posés ? Il s’agit là de répondre à un certain nombre d’enjeux, dont ceux-ci ne sont pas les moindres :
Enjeu 1 : redonner du sens à la loi fondamentale pour que l’individu retrouve le sens de la collectivité nationale et de l’avenir.
Enjeu 2 : « tuer le père » (en l’occurrence la mère, « reny malala ») au sens psychanalytique, pour définir enfin un système ancré dans la modernité mais qui prendra en compte les valeurs et à la culture malgache.
Enjeu 3 : réconcilier les deux pans de la société sur des valeurs éthiques partagées et adossées à la modernité (le fihavanana, perverti, ne peut servir d’alibi)
Enjeu 4 : renforcer le sentiment d’appartenance à une Nation où la voix de chaque individu est représentée.
Enjeu 5 : redonner du sens, pour le citoyen, au principe de subsidiarité où le citoyen participe de la vie collective à tous les niveaux d’un Etat où chaque échelon politique sera élu et non pas désigné.
Enjeu 6: refondre et revaloriser le rôle d’arbitre du ray-amandreny de la Nation.
C’est une réflexion de fond qui doit être faite, qui devrait répondre aux enjeux énoncés. Si elle n’est pas aboutie on ne sera encore confrontés qu’à une monstrueuse escroquerie. Les discours actuels sur une quatrième république et une nouvelle constitution, qui ne font état d’aucune sorte de projet, nous préparent à cette escroquerie. On vit une absurdité « shadokienne » : on ne sait pas où on va, mais il est urgent d’y aller.
Bien à vous tous …
Lalatiana Pitchboule

prettyzoely
1 avril 2010
excellent billet ! genre je peux juger de cela 🙂
ce que je veux dire c’est excellent car nous sommes bien d’accord :
« C’est une réflexion de fond qui doit être faite, qui devrait répondre aux enjeux énoncés. Si elle n’est pas aboutie on ne sera encore confrontés qu’à une monstrueuse escroquerie. Les discours actuels sur une quatrième république et une nouvelle constitution, qui ne font état d’aucune sorte de projet, nous préparent à cette escroquerie. On vit une absurdité «shadokienne» : on ne sait pas où on va, mais il est urgent d’y aller. »
Ce qui rejoint ce que je disais dans mon billet « Mettre les choses à plat pour une prise de conscience généralisée »…
Alidera A.R.
1 avril 2010
Il me faudra relire une ou deux fois ce texte pour vraiment me rendre compte de sa teneur. En tout cas, j’adhère à l’idée générale du texte.
Mais à chaud, je dirais qu’une nouvelle constitution pour fonder une nouvelle République qui sera la 4ème du nom, n’est pas forcément une escroquerie. On se trompera sans avoir été dupée par qui que ce soit. Par ailleurs, c’est une escroquerie si cela servira à masquer des méfaits et erreurs volontaires pour nourrir des intérêts personnels.
Ceci dit, personnellement, il n’y a point besoin d’aller à la quatrième république. Il faut revenir à la troisième, en faire un bilan officiel et détaillé, décider à partir delà une amélioration ou une refonte de la république.
Pour ce qui est de l’acculturation politique, ce qui est sûr c’est que nous manquons tout simplement de culture, nos connaissances et savoirs sont si déséquilibrés qu’au final cela paraît comme insuffisant et qui ne nous permet pas d’être lucide.
hafatra
5 avril 2010
2 avril 13:00, par hafatra
tiré du forum de Madagascar Tribune sur ce même article
Ho an’i Lalatiana sy ny mitovy aminy rehetra,
Ny kolontsainantsika dia sadasada , tsy vazaha tena izy kanefa tsy malagasy intsony…
Ny porofo dia izao lahatsoratra mikasika ny malagasy voatery hatao amin’ny teny vahiny izao.
Tsy ambony tsy ambany toy ny traingon’alika ny kolontsainantsika , ary ny loza dia toa nanjary basin’ariary fito aza. Maro ireo avara-pianarana no efa nanakalo azy , maro ireo mpanao politika no tsy miraharaha azy intsony , na koa mampiasa azy fotsiny ho fitaovana hanatratrarana ny tarigetra politikany. Ny tanora dia tsy manam-potoana hikoloana sy hianarana azy intsony…
Tsy manana fototra matanjaka ny kolontsainantsika hipetrahany fa mitsingevaeva fotsiny ka izay rivotra avy any ivelany dia mitady handaboka azy daholo.
Ka na inona na inona fikasana , na inona na inona faniriana , raha tsy tsara petraka ny kolontsainantsika dia ho zava-poana daholo ny rehetra. Toy ny manangana trano eo amin’ny fasika isika.
Tsy mahaleo ny trano tsara fototra ny rivo-doza sy ny ankason’ny fotoana.
rabri
5 avril 2010
1er avril 11:47, par rabri
tiré du forum de Madagascar Tribune sur ce même article
Moi aussi je dis BRAVO … mais pour la compilation bibliographique. Je doute fort que sur le terrain, certains de ces postulats et enjeux puissent être vérifiés et appliqués sans connaissance précise et approfondie de la société concernée car il ne faut pas oublier que des différences énormes existent sur le plan SOCIO-CULTUREL des différentes régions malgaches.
Une critique pour le postulat 5 : comment voulez-vous que dans l’état actuel des choses, un individu isolé, même s’il fait partie de son fokonolona et de son fokontany, même s’il est fortement impliqué dans la vie sociale et économique de ces structures, puisse avoir le courage TOUT SEUL d’assumer des responsabilités directes ou indirectes au niveau du pouvoir exécutif ?? C’est théorique et utopique !
Les fokonolona et fokontany, dans l’histoire de la société malgache, ont été des « territoires locaux » de débats et décisions sur des problèmes locaux. C’est l’institution locale (= le village) qui s’est chargée elle-même d’appliquer les décisions débattues.
Ce qui SERAIT intéressant pour une prochaine république, c’est de ne pas être obsédé de voir arriver dans l’exécutif tels ou tels Hommes venant de telle ou telle structure mais par exemple, c’est d’espérer L’ INSTITUTIONNALISATION par l’exécutif de l’ensemble des décisions prises au niveau local pour en faire un ensemble de mesures concrètes pour le développement national (via le développement local, j’insiste !!). Bref, la base avant les acteurs qui viendront tout naturellement !!
Conclusion : Zoky Ratsimandrava, si vous me lisez depuis votre tombe, je reste votre fidèle admirateur !!
solofoniaina
29 juin 2011
Bien que c’est un peu tard, je voudrai vous poser une question.
C’est quoi au fait le FIHAVANANA ? Qui pourra donner une définition universelle de mot ? Le FIHAVANANA en lui-même a-t-il une valeur immuable ? Est ce un dogme ? D’après moi, ce mot a pris un réel sens du temps des royautés ou deux roitelets s’accordaient leurs violon sd’ingres sur des principes pour éviter des affrontements tribaux. Et comme en temps-là, l’accès aux écritures étaient encore loin, on s’accordait sur des principes verbaux du genre « ta parole contre la mienne ».
Mais le mot FIHAVANANA est-il toujours d’actualité par rapport à sa valeur intrinsèque ?
Et à propos de la culture malgache elle-même : avons-nous une culture immuable comme celle des japonais ? Eux, ils ont lutté par exmple pour stopper à leur porte le christianisme etc …
La soi-disante culture malgache appropriée n’était-elle pas celle uniquement des palais royaux ? Et là encore, beaucoup d’occidentaux ont contribué à la contruction et à l’achitecture de nombreux Palais !
D’après moi, depuis toujours, (à partir des années 1700) nous sommes toujours en contact avec des gens de l’extérieur (des français, des portugais, des anglais etc …). La preuve, les malgaches vont aux temples et dans les églises tous les dimanches. cela fait partie des us et coutumes malgaches aussi.
Alors, j’aimerai pouvoir être aider car je ne me retrouve pas du tout ! C’est quoi la CULTURE MALGACHE ? On a trop tendance à la normaliser avec les définitions que le pouvoir révolutionnaire nous a endoctriné du temps de l’AKFM et de l’AREMA pendant le deuxième République !
Merci du secours
pitchboule
29 juin 2011
Ouf … Vaste question que de vouloir définir ce qu’est la culture malgache… Il ne peut pas y avoir de définition absolue. De même qu’on ne peut définir l’âme malgache. On ne peut ici que tenter de caractériser un ensemble d’éléments épars, de comportements, de postures, acquis individuellement – et de manière personnelle – par socialisation, qui fondent la construction d’une personnalité et la construction des préférences spécifiques d’un individu… Ce n’est donc pas dans le comportement qu’il faut chercher la culture, c’est dans ce qui a construit le comportement …
Excusez moi de philosopher …
solofoniaina
30 juin 2011
Est ce que vous avez lu le livre :
MADAGASCAR DEPUIS 1972
La marche d’une révolution
Robert Archer
Postface de Sennen Andriamirado
HISTOIRE OCÉAN INDIEN Madagascar
Depuis la chute du président Tsiranana en mai 1972, Madagascar est entré dans une phase nouvelle. Choix d’une politique non alignée et option socialiste en sont les aspects les plus connus. Mais la « révolution » en marche a mis aussi à jour la lutte pour le pouvoir et les antagonismes sociaux latents. Ce livre étudie en particulier les caractéristiques de la bourgeoisie malgache dont l’histoire et la puissance remontent bien avant la colonisation. Voici la réédition d’un ouvrage paru en 1977.
MITADY NY VERY FOANA. NOUS VIVONS TOUJOURS DANS NOS PASSéS DANS TOUTES NOS VIES QUOTIDIENNES.
Nous sommes trop passéistes, ne serait-ce que dans nos allocutions ! C’est peut-êttre pour cela qu’on nous entourloupe toujours!
pitchboule
30 juin 2011
Oui, bien sûr. Ouvrage de référence. Les gens ont de la chance qu’il soit réédité, parce qu’ila été longtemps introuvable.
Je vous conseille aussi, si vous en avez la possibilité, de lire :
-« Aux origines du Mai malgache ». Anne Marie Goguel. Ed Khartala
– « Les gens du pouvoir à Madagascar ». Didier Gallibert. Ed Khartala
– « Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar ». F. Raison-Jourde & G. Roy. Ed Khartala
Cordialement